Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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dimanche 01 juin 2008

Les raccourcis de l'histoire du document

Découvert grâce à Alain Pierrot qui le commente (ici), cet article du célèbre historien du livre R. Darnton mérite lecture et réflexion, à cause d'abord de la limpidité habituelle de la prose et du raisonnement de l'auteur, qui en fait une référence pour les étudiants comme pour les érudits, et aussi pour la thèse qu'il défend que je discuterai brièvement.

Robert Darnton, “The Library in the New Age,” The New York Review of Books 55, no. 10 (Juin 12, 2008), .

Ironiquement, l'article, dont on verra que les références remontent très loin dans le temps, est accessible avant sa parution le 12 juin prochain, ce qui est déjà un signe : le passé est peut-être en avance sur l'avenir ;-), en vérité l'historien se sert des leçons du passé pour tenter d'éclairer nos décisions à venir. Malgré la qualité de son propos, je ne suis pas sûr qu'il le fasse toujours à bon escient.

Commençons par citer la chronologie qu'il propose en introduction (trad JMS) :

En simplifiant largement, on pourrait dire qu'il y a eu quatre changements fondamentaux dans les technologies de l'information depuis que les hommes ont appris à parler :

Quelque part vers 4000 avant JC, les hommes ont appris à écrire. Les hiéroglyphes égyptiens remontent à environ 3200 avant JC, l'écriture alphabétique à 1000 avant JC. Si l'on suit les chercheurs comme J. Goody, l'invention de l'écriture fut la plus importante rupture de l'histoire de l'humanité. Elle a transformé la relation des hommes à leur passé et a ouvert la voie à l'émergence du livre comme une force dans l'histoire.

L'histoire du livre conduit à une seconde étape quand le codex a remplacé le rouleau peu après le début de l'ère chrétienne. (..) Cela a transformé l'expérience de lecture : la page est devenue l'unité de perception, et les lecteurs ont pu feuilleter un texte bien construit, qui pouvait inclure des mots différenciés (c'est à dire séparés par des espaces), des paragraphes et des chapitres, tout cela avec une table des matières, des index et d'autres aides à la lecture.

Le codex a été transformé à son tour par l'invention de l'imprimerie à caractères mobiles vers 1450. (..) La technologie de l'impression n'a pas changé pendant près de quatre siècles, mais le cercle des lecteurs s'est considérablement élargi grâce aux progrès de l'alphabétisation, de l'éducation et l'accès au monde de l'imprimé. Les prospectus et journaux, tirés sur des presses à vapeur et sur du papier issu de la pulpe de bois plutôt que des chiffons, ont accru le processus de démocratisation jusqu'à ouvrir le lectorat à un public de masse dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle.

Le quatrième changement, la communication électronique, c'était hier, ou la veille selon la façon dont vous le mesurez. L'internet date de 1974, au moins comme nom. (..)

Enchainé de cette façon, le rythme du changement coupe le souffle : de l'écriture au codex, 4.300 ans ; du codex aux caractères mobiles, 1150 ans ; des caractères mobiles à internet, 524 ans ; d'internet aux moteurs, 19 ans ; des moteurs à l'algorithme de Google pour un classement pertinent, 7 ans ; et qui sait ce qui nous attend demain et est peut-être déjà dans les tuyaux ?

On peut faire un rapprochement entre cette chronologie et celle des quatre âges de l'imprimé (ici), en remarquant néanmoins que R. Darnton ne différencie pas l'âge de la presse de celui de la paperasse, contrairement à A. Marshall. Cette différence n'est pas anodine. En effet, les machines légères à imprimer ont sorti l'imprimé d'une production industrielle pour l'entrer dans notre quotidien, d'abord professionnel puis domestique, et cela modifie sensiblement la pertinence de la suite de l'article de R. Darnton.

Dans celle-ci, l'auteur fait d'abord remarquer que l'information n'a jamais été stable et que son inscription sur des artefacts, soumise à de nombreuses contraintes, matérielles, professionnelles et sociales, varie suivant les circonstances. Il prend pour cela avec beaucoup de verve notamment des exemples dans son expérience propre, comme journaliste ou comme historien du livre (en particulier sur les différentes versions de l'Encyclopédie dont il est un expert). Il relativise ainsi les discours communs sur l'instabilité de l'information sur le Web, allant jusqu'à inverser le propos. Puisque cette instabilité est maintenant clairement visible, nous pourrions mieux la gérer :

Au lieu de documents solidement fixés, nous devons jouer avec des textes multiples et instables. En les étudiant avec un esprit critique sur l'écran de notre ordinateur, nous pouvons apprendre à lire de façon plus pertinente notre journal quotidien, et même à apprécier les livres anciens. (trad JMS)

Mais cet argumentaire, séparant l'écriture réservée à quelques clercs de la lecture démocratisée, n'est pas vraiment pour moi convaincant. En sautant l'âge de la paperasse, l'auteur ne peut plus percevoir que l'imprimé s'est démocratisé aussi dans son écriture, avant même l'arrivée du micro-ordinateur.

Et alors, on peut renverser son raisonnement : sans doute l'information n'a jamais été stable dans l'histoire, mais sa fixation sur des documents peu nombreux et industriellement reproductibles en avait stabilisé des versions, à tort ou à raison socialement admises comme référence parce que diffusées à l'identique ; la diffusion d'un très grand nombre d'informations sur des fichiers mémorisés et donc fixés quoiqu'on en dise, déstabilise notre relation au document. C'est faire preuve d'optimisme de croire que nous en tirons un plus grand esprit critique, on pourrait tout aussi bien dire qu'il en découle une plus grande confusion.

R. Darnton conclut son article par une vibrante défense des bibliothèques de recherche, qui était, comme le titre l'indique, son objectif premier. Je ne reprendrai pas ses huit arguments, qui d'ailleurs n'en prennent que plus de poids depuis l'annonce de l'abandon par Microsoft de son programme de numérisation de livres. Sans doute l'auteur a raison d'insister sur l'importance de leur rôle traditionnel, fondamental même dans un environnement numérique.. mais doit-on s'en tenir simplement à ce rôle quand justement le rapport au document a changé ? je n'ai pas vraiment de réponse à cette question. L'auteur nous exhorte à ne pas les penser comme des entrepôts ou des musées, mais j'ai peur que son raisonnement nous y conduise tout droit.

mercredi 21 novembre 2007

e-Paper : marché de masse pour 2012 ?

Au moment où on annonce que le papier électronique a l'ambition de supporter la vidéo (voir ici InternetActu) et où la tablette de Amazon est le buzz de la semaine, il est opportun de lire cette interview du père du premier papier électronique, celui de Xerox : le Gyricon, Nick Sheridon. L'ensemble de l'entretien est passionnant, depuis la genèse de l'idée, jusqu'aux difficultés actuelles non encore résolues, en passant par les applications futures.

The Future of Electronic Paper, TFOT, 15 oct 2007 Html (repéré par Electronic Paper & Communication, ici)

Extraits (trad JMS) :

Q: L'invention du papier électronique date de près de 35 années. Comment expliquez-vous qu'il prenne tant de temps à entrer sur le marché ?

R: Le papier électronique est entré sur le marché, mais pas encore largement. (..) Aucune technologie est encore suffisamment proche de l'apparence du papier pour s'emparer de l'énorme marché latent que l'on pense exister. D'autres inventions sont nécessaires, Cela ressemble beaucoup aux débuts de la télévision, quand tout le monde savait qu'on en avait besoin, mais que mettre au point la technologie était difficile.

Q: Quels sont les obstacles que vous voyez pour l'adoption généralisée du papier électronique ?

R: Aucune technologie n'est suffisamment proche de l'apparence du papier. Par cela, je veux dire un support d'affichage qui soit fin, flexible, capable de garder des images lisibles sans dépense d'énergie, très lisible en lumière ambiante, et qui a une bonne résolution, avec un haut niveau de blanc et un bon contraste et qui soit bon marché. Une bonne part de cette équation relève de l'électronique (..).

Q: Quand pensez-vous que nous verrons un usage largement répandu du papier électronique ?

Q: Je pense que la révolution sera continue, d'abord un support portable avec un fort contraste qui sera lisible à la lumière du soleil - probablement l'année prochaine ou la suivante - suivi par une tablette de lecture économe en énergie (disponible au Japon, et plus largement quand les problèmes de propriété intellectuelle seront résolus); et dans les cinq prochaines années la signalisation et les panneaux électroniques. Le lecteur de poche prendra plus longtemps. (..)

J'aime proclamer que le Saint Graal du papier électronique sera contenu dans un tube cylindrique d'environ un centimètre de diamètre et de 15 à 20 centimètres de longueur, qu'une personne pourra porter confortablement dans sa poche. Le tube contiendra une feuille finement roulée de papier électronique qui pourra être tirée à l'extérieur par une fente pour devenir une feuille plane, pour lire et renouveler l'affichage par un bouton. Les informations auront été téléchargées - il y aura une interface simple - d'un satellite, un réseau de cellulaire, ou une puce interne. Ce lecteur de documents sera utilisé pour le courriel, l'internet, les livres téléchargés d'une bibliothèque globale qui se construit actuellement, des manuels techniques, des journaux (peut-être dans un plus grand format), des magasines, et ainsi de suite, n'importe où sur la planète. Il coutera moins de 100$ et presque tout le monde en aura un ! (..)

Q: Quels sont les obstacles à l'adoption massive du papier électronique ?

R: L'obstacle principal est le prix. Notre recherche montre qu'un lecteur sur papier électronique doit tomber en dessous de 100$ avant qu'une partie significative de la population l'adopte. Et même là, ils ne l'achèteront que si un contenu suffisant est accessible à un coût raisonnable. Le deuxième obstacle est l'accessibilité du contenu. (..)

Q: Quand prévoyez vous que nous verrons la véritable révolution du papier électronique ?

R: Elle a déjà démarrée, mais cela deviendra vraiment un marché de masse vers 2012.

Actu du 23 janv 2008 Voir le Readius (ici), mais il serait commercialisé à 6 ou 700 Euros..

samedi 17 novembre 2007

La résistance du livre

Puisque c'est le Salon du livre à Montréal, il est opportun de poursuivre l'interrogation sur ce support. J'ai, d'abord, été sensible à trois propos récents :

  • F. Pisani a donné un entretien sur l'avenir du livre.
  • Jeff Gomez a publié un livre papier au titre pour le moins paradoxal : Print is dead. Ici
  • Alain Giffard quant à lui s'interroge sur les effets de la Culture du libre sur la culture du livre, ici

Chacun à sa manière, avec sa position, son expérience, son analyse propre, des orientations parfois opposées, tire la même conclusion : le livre évolue, le livre doit s'adapter à la culture numérique. Mais si évidemment les médias anciens intègrent les formes nouvelles, la vrai question me parait inverse : pourquoi le livre résiste ?

Car le livre résiste. Il fut le premier dont le contenu à basculer sur le Web (le projet Gutenberg date de 1971). Il fut aussi le premier à disposer de terminaux dédiés (les tablettes eBooks sont bien antérieures au iPod). Sans doute certains secteurs n'ont pas résisté (encyclopédies, revues savantes), mais globalement et malgré les nombreuses Cassandres, le livre est encore là et bien là. Les principales maisons d'édition sont même plutôt prospères. Même si les tirages diminuent, le nombre de titres augmente.

Cette situation est d'autant plus étonnante que l'évolution sur la longue durée des pratiques de lecture ne sont pas encourageantes, que l'on raisonne par âge ou par génération, contrairement aux pratiques de la musique ou de l'audiovisuel, qui sont, elles, en forte croissance alors que leurs industries paraissent plus menacées (ici). Faut-il en conclure que les stratèges du livre sont plus habiles que leurs confrères ? Sans vexer personne, cela me semble une explication peu convaincante.

Sans prétendre avoir la totalité de la réponse, je crois que l'on a négligé jusqu'ici une dimension essentielle de l'explication : la mesure temporelle du livre, inscrite, cristallisée dans sa forme. Un lecteur qui parcourt un codex, lit et tourne les pages, a son attention accaparée par son activité. Autrement dit, un livre peut être mesuré autant par son nombre de pages que par son temps de lecture (qui variera selon l'habileté et la stratégie du lecteur). De ce point de vue, prenons un livre de 300 pages à 400 mots par page. Un lecteur moyen lisant 200 mots par minute, le livre représente, par exemple, 10 heures de temps de son lecteur.

Cette perspective permet de mieux comprendre la supériorité d'un livre papier sur le numérique, même sous forme de tablette, dans un grand nombre de genres. Elle permet aussi de comprendre pourquoi certaines pratiques de lecture sont, à l'inverse, plus adaptées au numérique. Elle permet enfin de comprendre notre attirance à détenir des livres et à les accumuler dans des bibliothèques personnelles, même à l'heure des mémoires numériques et des clés USB, alors que nous nous éloignons des CD audios. D'un point de vue plus théorique, elle autorise l'intégration de l'économie du livre dans l'économie de l'attention (mais je ne le développerai pas dans ce billet).

Contrairement à une idée reçue, on lit très bien sur une tablette, et ceci dès les premières tentatives (Cytale, Gemstar). J'en ai fait personnellement l'expérience et nous l'avions constaté, il y a déjà longtemps dans une expérience de prêts en bibliothèques (le rapport est ici. Pdf). On met souvent en avant comme avantage pour ces dernières, le fait que l'on dispose alors d'une bibliothèque portative, ou que l'on peut par les liens naviguer d'un texte à l'autre. Mais cet avantage n'est utile que pour un certain type de lecture, pas le plus courant, celui qui demande de passer d'un fragment de texte à un autre. Un livre traditionnel se lit tout seul, en continu du début à la fin. Il est exclusif et fini. Et son temps de lecture est long. L'accompagner d'une bibliothèque n'est en rien un avantage, c'est au contraire une source de distraction. Mieux, l'objet livre est une promesse pour le lecteur : la promesse d'un temps long de plaisir exclusif ou d'enrichissement offert par l'auteur. Comme bien des cadeaux, il gagne à être tangible, il a même son emballage la couverture. La tablette ou le eBook, en effaçant la promesse, réduit sa potentialité.

Mais dira-t-on le raisonnement est le même pour la musique ou la vidéo et pourtant les conséquences du numérique sont inverses. L'inversion résulte de la temporalité. Le temps de l'écoute de la musique ou de la vidéo est très court par rapport à celui du livre. Il est, au contraire, tout à fait avantageux de disposer une bibliothèque de morceaux musicaux dans son iPod. Dans le temps long de lecture d'un seul livre, nous pouvons écouter un très grand nombre de morceaux musicaux. Ici le numérique montre sa supériorité. Le même raisonnement vaut pour les livres qui se lisent par séquences comme les encyclopédies, pour lesquels le numérique est un avantage certain pour le lecteur.

Ainsi lorsque nous achetons des livres pour notre bibliothèque ou pour les offrir, nous achetons une promesse d'heures exclusives de plaisir. Une bibliothèque d'une centaine de livres est pour son propriétaire la promesse de mille heures de plaisir. Sa visibilité n'est pas anodine. En passant devant, il éprouve le frisson de cette promesse. Sa surface, son volume sont proportionnels au potentiel accumulé.

Alors, la littérature évoluera sans doute avec le numérique, mais sommes-nous vraiment prêts à renoncer à ces plaisirs anciens ?

Actu du 19-11-2007 Voir, a contrario, le lancement par Amazon de la prochaine version de tablette chez F. Pisani : Livre 2.0: nous y sommes presque, ici. Voir aussi Lorcan Dempsey et les liens qu'il donne, ici. Et plus de détails sur TechCrunch, .

lundi 06 août 2007

Âge et génération

De nombreux indicateurs, de nombreuses études laissent penser qu’il existerait une rupture générationnelle dans les pratiques d’information entre ceux qui sont nés avant ou après la popularisation du numérique (v. par ex sur ce blogue : ici, , , même en Chine). L’article fondateur sur ce thème est sans doute celui de Marc Prensky (2001) au titre clair : Digital Natives Digital Immigrants (Pdf : P1, P2). L'auteur y tire des conclusions radicales en prétendant que la nouvelle génération pense différemment que les précédentes. Même si je le suivrais assez dans son raisonnement, qui fait écho à une modernité nouvelle, il faut reconnaitre qu'il s'agit à ce stade de spéculations. Si on peut constater des pratiques culturelles et informationnelles différentes pour les jeunes nés avec le numérique, rien n'indique qu'elles perdureront avec l'âge.


Actu du 11-08-2007 : Voir sur ce même thème le spectaculaire diaporama de René Barsolo de la Société des Arts Technologiques de Montréal (repéré grâce à Martin Lessard) :

Barsalo René, L'influence des nouvelles générations sur les communicateurs, Forum des communicateurs, Québec, 7 novembre 2006. Pdf, 3,2 Mo)

et la traduction en français de l'article de M. Prensky repérée par JD Zeller dans les commentaires.


Nous avons, en effet, tendance trop souvent à confondre deux notions : l’âge et la génération et cette confusion peut être source d’erreurs d’interprétation. Une bonne illustration de cette difficulté est ce tableau d’une étude de Forrester Research, reproduit malheureusement sans autre précision de réalisation par Business Week (11-06-2007, repéré par InternetActu).

À supposer que les chiffres soient justes, sur quoi nous renseignent-ils ? Ils nous disent à coup sûr que les utilisateurs américains du Web 2.0 sont d’abord les moins de trente ans. Mais ils ne nous informent aucunement sur l’évolution des pratiques des individus avec l’âge. Il est impossible d’en conclure, sauf à spéculer, que les moins de trente ans d’aujourd’hui poursuivront leurs habitudes demain, ni même d'ailleurs que les jeunes de demain auront les mêmes pratiques. Après tout, le Web 2.0 sera peut-être, comme la sortie-cinéma, une pratique sociale simplement juvénile, ou, pire, un simple feu de paille oublié demain. Pourtant vivant dans le présent, nous avons naturellement tendance à considérer que la continuité des pratiques selon l'âge ou selon les générations va de soi.

C’est pourquoi il faut marquer d’une pierre blanche la sortie de la lettre culture et prospective du ministère de la Culture français intitulée « Approche générationnelle des pratiques culturelles et médiatiques » (N3, juin 2007, Pdf). L’intérêt de la publication des chercheurs du Deps est double : d’une part, elle expose et illustre clairement la différence entre l’effet de l’âge et celui de la génération, sachant qu’au fil du temps une même génération, réunie par son histoire commune, passera par tous les âges. D’autre part, à partir des statistiques des pratiques culturelles régulièrement collectées par le ministère (cinq enquêtes de 1973 à 2003), elle compare six générations et en tire quelques leçons importantes pour l’évolution des pratiques. Le tout est synthétisé dans la matrice ci-dessous qui représente schématiquement les tendances des indicateurs de forte consommation culturelle par famille en croisant les effets de l’âge et celui des générations.

Chaque trait de couleur représente une génération. Le sens de la pente du trait indique si la pratique croît ou décroît avec l'âge dans la génération considérée. La hauteur relative du trait par rapport à un autre indique une pratique plus ou moins forte d'une génération sur l'autre.

On y constate que la lecture assidue de livres baisse à la fois avec l’âge et les générations, tandis que celle de la presse écrite ne se modifie pas avec l’âge qui passe, mais se raréfie à chaque génération nouvelle. À l’inverse, la pratique de la musique enregistrée s’accroit avec les générations montantes alors que les habitudes varient peu avec le vieillissement de chaque génération. La télévision, quant à elle, bénéficie d’un double effet positif, d’âge et de génération. On y lit clairement le passage d’une culture imprimée à une culture audiovisuelle. Les statistiques du Ministère ne permettent pas encore de rendre compte de l’effet du numérique, et encore moins de la génération des Digital natives, même si les auteurs proposent une réflexion prospective jusqu’en 2020, qui m’a moins convaincu que le reste de leur propos. La question ouverte à la suite du premier tableau de ce billet reste donc pour le moment sans réponse.

J’ajoute deux remarques, importantes pour la thématique de ce blogue, mais qui ne figurent pas dans la publication du ministère :

  1. Il n’y a pas de relation mécanique entre la tendance positive ou négative des pratiques et la santé économique de la filière. Même si l’on peut interpréter ces tendances en termes de cycle de vie d'un produit, tout dépend de la capacité de valorisation mise en place par le jeu des acteurs. Le contraste entre la situation du livre et celle de la musique, dans le rapport valorisation/pratiques, est flagrant. Les acteurs de la première filière ne s’en sortent pas trop mal, malgré des indicateurs de pratiques calamiteux, tandis que les seconds plongent alors même que la pratique de la musique enregistrée ne cesse de croître. Ainsi, la stratégie est un élément fondamental, d’autant plus délicat à manier que le numérique change, de façon inédite à la fois les modes de valorisation et les pratiques.
  2. L’histoire d’une génération est située. Même si la mondialisation, là comme ailleurs, tend à lisser les cultures, l’étude rend compte clairement de générations de Français. Il serait intéressant de pouvoir aussi comparer géographiquement les générations. Au Québec, par exemple, la génération qui a eu 20 ans pendant la Révolution tranquille est contemporaine de celle que les auteurs appellent « Algérie » faisant allusion à la guerre coloniale du même nom. Ces évènements ont, à coup sûr, marqué différemment chacune des générations d’un côté et de l’autre de l’Atlantique. Autre exemple, la question de l’immigration est peu comparable dans l’un ou l’autre pays. Ces histoires différentes ont-elles des conséquences sur les pratiques ? sans doute. mais jusqu'à quel point et quels facteurs agissent plus ou moins sur celles-ci ?

samedi 01 avril 2006

Livre, mots-clés

Les mots-clés renvoient aux billets du blogue correspondant aux différents chapitres, parties et sous-parties du livre.

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